======Le plan des villes chinoises======
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Plans de villes et idéographie : l’exemple chinois.
**Plans, images et croquis :** [[enseignant:jean_attali:ecriture_des_plans_et_idéographie|]].
Texte ci-dessous, repris de l'article de
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L’Architecture d’Aujourd’hui//, 371, juillet-août 2007, p. 88-93 (J.A.).
L’interprétation et la lecture des plans de villes implique la reconnaissance des lignes du paysage, du contour des agglomérations, des réseaux de l’hydrographie ou de la trame viaire comme autant de formes repérables. Celles-ci, dès lors qu’elles sont dessinées, consacrent l’appartenance de ces « tracés », ou des figures qu’elles manifestent, à un régime de représentation intermédiaire entre l’iconographie et l’idéographie, l’image et l’écriture.
La lecture de la carte urbaine ou du plan aide à situer la région, la ville, le quartier, voire le bâtiment. Mais elle permet surtout de comprendre les liens qui unissent le dessin de la ville à une culture à la fois technique et symbolique, ordonnée dans le temps et dans l’espace. Les plans cessent d’être rébarbatifs s’ils sont lus comme une histoire, scrutés comme des tableaux, interprétés comme des énigmes, déployés comme un décor, parcourus en pensée comme des projets ou des itinéraires de voyages.
Le plan n’est jamais seul, il est l’initiateur. Par lui, tout autre document (photos, signes, objets…) se trouve localisé : la localisation, cet impératif du géographe. Les collections de plans peuvent inspirer une production graphique, picturale ou textuelle destinée à montrer l’existence d’un ordre dans l’espace où se reconnaîtraient les codes fondamentaux d’une culture. La culture chinoise, exemplaire de ce point de vue, n’est pas seulement politique, philosophique, religieuse, littéraire ou artistique : elle est urbaine aussi, et magnifiquement.
{{:enseignant:jean_attali:changsha_06_bâti-voies-hydro.jpg?350&direct|}} **La ville de Changsha (Hunan)**.
Montage réalisé à partir de l'image satellite et du plan touristique. Image produite par Claire Gasteuil, Pamela de La Feronnière et Pascale Duriez, dans le cadre de l'atelier "Philomedia" conduit par Ron Kenley et Jean Attali (2007).
====Le temps et l’espace de la carte====
Les historiens et analystes de la forme urbaine s’accordent à distinguer trois niveaux de la temporalité urbaine : le plan, les découpages fonciers, le bâti. Ils admettent que le plan est la réalité la plus durable, le bâti la plus éphémère (à l’échelle de l’histoire). En-deçà des actuelles transformations du bâti et de l’architecture, l’hypothèse d’une relative permanence du plan de ville est confrontée à la réalité des modernisations, rénovations et extensions partout visibles de l’urbanisme chinois. Le plan prend donc une valeur critique relative, il permet de surmonter l’alternative de la conservation ou de la destruction. Par-delà les opérations de rénovation urbaine dont témoignent nombre de reportages photographiques (ceux d’Edward Burtynsky notamment ou ceux d’Ambroise Tézenas), la « table rase » est-elle vraiment un concept de la modernité chinoise ?
Les plans sont des œuvres, ils relèvent d’une interprétation. Hors du cadre des rationalisations et des systématisations du fonctionnalisme, le plan apparaît comme recevant l’empreinte d’une culture simultanément technique et symbolique. Les tracés du plan des villes en Chine ne sont pas sans présenter – du moins est-ce l’hypothèse de travail avancée ici – certaines similitudes avec l’idéographie chinoise. Celle-ci enveloppe la tradition des diagrammes chinois, l’écriture idéogrammatique, la symbolique graphique, ornementale, picturale et calligraphique.
Il n’est pas question de réduire les plans à une symbolique explicite, fondée comme telle sur les seules conventions attestées par la littérature, mais d’admettre que des analogies possibles ou des jeux idéographiques (comme on parle, avec Wittgenstein, de « jeux de langage »), tels que l’indice, l’image, le diagramme, le symbole (pour parler comme C.S. Peirce) puissent être considérés ensemble. Les plans de villes (la plupart d’entre eux échappant à un ordre exclusivement fonctionnaliste) manifesteraient leur consistance avec une culture du signe, aux modulations étendues à tous les registres urbains et paysagers de l’inscription, du tracé et des noms.
La polyvalence du plan le rend capable de recevoir simultanément des formes d’urbanisation qu’on jugerait ailleurs qu’en Asie incompatibles les unes avec les autres. Est-ce parce que la ville chinoise, en tant que territoire administré, s’étend bien au-delà des espaces bâtis ? Est-ce parce qu’elle laisse flotter l’opposition de la ville et de la campagne ? Les traits de la ville chinoise semblent ouvrir une perspective originale sur la relation de la ville à son environnement proche et lointain.
====Des capitales qui cachent la forêt====
Afin de ne pas limiter la connaissance des villes chinoises à la seule présentation des grandes capitales, il est proposé une approche construite du système des villes en Chine. Le recoupement des données disponibles en démographie urbaine permet d’établir la carte des villes et des réseaux que celles-ci forment au sein de chaque province. Compte tenu des incertitudes qui persistent sur la collecte des données statistiques en Chine, les données quantitatives ne garantissent au mieux qu’une connaissance approchée. Ce sont des ordres de grandeur, du moins permettent-ils d’être attentif aux dimensions très contrastées des territoires urbanisés : ils autorisent des conjectures sur la formation et la dynamique des réseaux de villes dans la période récente.
Les répartitions par provinces ainsi que le classement des villes esquissés dans des tableaux synthétiques font l’objet d’une analyse systématique à partir des données publiées par l’ONU (division de la population) et dans le sillage des travaux du géographe François Moriconi-Ebrard. On sait que celui-ci s’attache à fonder sur des critères méthodologiques constants la comparaison des données. Pour l’essentiel, il s’agit de rapporter les quantités démographiques à des aires géographiques définies.
Or, l’urbanisme contemporain entre de plus en plus dans des configurations irrégulières et discontinues qui éloignent les villes de la continuité morphologique des anciennes agglomérations. Le problème se pose d’autant plus en Chine que les villes y sont traditionnellement des territoires dont les limites administratives passent le plus souvent très au-delà de l’agglomération urbaine proprement dite. Il arrive souvent par conséquent que le territoire administré soit un mixte de ville et de campagne. Cependant, les données disponibles permettent dans la plupart des cas de mesurer la croissance (et parfois la décroissance) des villes ; de localiser ces villes et de les classer par ordre décroissant à l’échelle du pays entier et à l’intérieur de chaque province ; de comparer les superficies des territoires considérés.
Une collection de plans, bien qu’incomplète, permet d’observer les grandes différences existant entre les types d’urbanisation, de même qu’elle autorise la recherche de caractères qui seraient propres aux organisations urbaines dans cette région du monde.
Le principe général de la recherche consiste donc à approcher la morphologie urbaine à partir des échelles physiques les plus larges (ou, comme on voudra, des échelles graphiques les plus petites…), afin d’être attentif non seulement aux anciennes cohérences urbaines établies tout au long de l’histoire, mais aux fronts d’urbanisation qui, pratiquement pour chaque ville particulière, témoignent d’une croissance générale du fait urbain et d’une réponse globale aux pressions qu’exerce sur le paysage des villes le double processus mondial de la transition démographique et de la transition urbaine.
Une des conséquences de cette approche est de renouveler le problème posé par l’échelle opératoire de l’urbanisme. L’urbanisme se situe toujours entre les échelles opposées de l’édifice (ou du groupe d’édifices : « l’îlot », le « block », la « cuadra », etc.) et du territoire. Or, il semble que la dynamique du « projet urbain » ne puisse plus se limiter à la recherche d’une cohérence rapprochée du groupe d’édifices à l’intérieur d’un site structuré par ses voies, ses carrefours, ses parcs, ses espaces non bâtis.
L’extension de la ville implique un rapport mouvant et transformé au grand territoire : la ville n’est plus seulement engagée dans un rapport historique avec elle-même, elle est exposée aux mutations qui situent son existence, ses fonctions, ses « espacements » par rapport à des fronts avancés, par rapport à des processus morphologiques irréguliers ou chaotiques, par rapport à des modes de vie moins définis par des appartenances locales que par des capacités de mouvement et de communication à longue distance.
Le paysage des villes en est métamorphosé ; l’action sur la forme des villes s’y trouve soumise à des programmes techniques et sociaux renouvelés ; la compréhension de l’urbanisme, de ses objectifs et de ses méthodes y trouve les motifs d’un nécessaire renouvellement.
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