proposition pour le Séminaire sur les enseignements des champs « Ville et territoires »
(3e axe de réflexion : outils transversaux / questions communes) :
Depuis huit ans, les étudiants de Master réalisent leur mémoire du séminaire VAT sur une plateforme en ligne. Plus de 300 mémoires constituent maintenant l'« Atlas Mondial des Villes » : c'est donc d'abord une riche couverture géographique, mais aussi méthodologique et stylistique, de villes et de territoires – une couverture effectivement mondiale. C'est aussi la mémoire du séminaire, un historique de toutes ses productions : une mémoire aisément accessible, indexée, explorable.
Mais par delà ce qu'il a constitué au fil du temps (Atlas, mémoire…), l'outil induit aussi une méthode d'enseignement. Nous nous proposons donc de présenter l'Atlas des Villes, mais surtout d'analyser les principes directeurs qui se sont dégagés de son usage, pour d'essayer d'en tirer des enseignements plus généraux sur la mise en place de solutions technologiques.
Concrètement, la plateforme utilisée est un wiki, un site web éditable. C'est donc un site web – accessible à tous sur http://www.atlasdesvilles.net , sous réserve de connaître un code d'accès simple (nom d'utilisateur : « atlas »; mot de passe : « villes »). La protection constituée par le mot de passe permet implicitement d'entrer dans un cadre académique : nous ne sommes pas ici « en public » comme on est sur internet, mais « dans l'Ecole ». Ce site est éditable (ajout de page, de documents, de texte) par tous aussi , mais l'édition n'est pas anonyme : il faut, pour pouvoir éditer, s'enregistrer avec une adresse email. En pratique, seuls les étudiants et les enseignants le font.
Au-delà de la mise en œuvre purement technique, sont apparus des principes généraux d'utilisation, qui semblent avoir trois caractères : publicité, temporalité, et simplicité.
La publicité est la caractéristique la plus forte de la plateforme : tout travail fait par les étudiants (ou, d'ailleurs, par les enseignants) est immédiatement visible par l'ensemble des participants. Vous-même pouvez voir les « travaux en cours » (mémoires non terminés… ou même abandonnés) des étudiants. Et même, les enseignants ont décidé qu'il ne sera discuté en cours que de ce qui existe sur la plateforme. Cette publicité peut être perçue comme une contrainte abusive, mais elle amène plusieurs avantages. L'exemple que sont les travaux déjà réalisés, la possibilité de regarder le travail des autres pendant qu'il est fait, sont aussi une source implicite de connaissances. Un produit « vivant », jamais fini, mais toujours, à un instant donné, d'une qualité maximale par rapport à l'effort fait. On peut remarquer d'ailleurs que c'est aussi le modèle (publicité par défaut ; mise en privé seulement par choix) constitué par des médias sociaux sur internet.
Ensuite la temporalité : Tout contenu est immédiatement visible à tous. Le travail peut être « en temps réel », les réactions d'enseignement, les corrections, peuvent être synchrone. S'il est finalement fait peu usage de cette capacité de « réunion dans le temps », c'est qu'un autre aspect temporel de la plateforme est encore plus important: que le passé est mémorisé entièrement, daté, que les versions de travail sont toutes conservées, (« versionnées ») ainsi que tous les documents intermédiaires. Ce mécanisme, habituel sur des systèmes de gestion de documents, permet une grande souplesse, un droit d'expérimenter, de détruire, d'ajouter, sans aucun risque. Il implique, en contre partie, une visibilité dans le temps (le professeur peut savoir quand les étudiants ont travaillé). Là aussi, la similarité avec les média sociaux est forte.
Enfin, la simplicité de la plateforme : elle a initialement été déterminée par le manque de moyens ; n'ayant de ressources ni financières ni humaines, nous avons installé le logiciel le plus simple, libre de droit, Mediawiki d'abord, puis Dokuwiki. Certes, l'absence d'adaptation précise de la plateforme à l'usage que nous voulions en faire, est parfois lourde à supporter. On a parfois l'impression d'atteindre les « limites ». La gestion des représentations, en particulier, est minimaliste. Mais il est bien possible que ce soit justement ce manque de moyen, ce minimalisme, qui a permis à ce projet d'exister: simple et facile à mettre en place, les conséquence d'un échec étaient faibles, donc il était plus facile de prendre le risque d'essayer. Cette simplicité a des aspects positifs, tels que permettre son adoption quasi-immédiate par chaque nouveau groupe d'étudiants.
Enfin, nous essaierons aussi, dans notre intervention, d'envisager un cadre théorique à la mise en place et à l'utilisation de tels outils: car si la mise en place s'est faite de façon progressive, légère, elle correspond à des tendances profondes de l'enseignement, à la fois conséquences de l'usage des technologies, et aussi parallèles, similaires, aux méthodes de ces technologies. Il s'agit d'abord de promouvoir un apprentissage en réseau, dont la valeur est créée par la richesse des interactions entre tous les participants, enseignants comme étudiants, conséquence de la réduction des coûts de transaction permise par la technologie (loi de Metcalfe); donc un cadre théorique que l'on peut appeler « connectiviste ». Le succès de cette approches est aussi lié à la familiarité des étudiants avec les technologies et les média « sociaux ».
Ce cadre est finalement suggéré directement par la technologie, par une approche de la création de contenu, du design, public, traqué et surtout « léger », simple, où il est plus important de publier tout de suite, et souvent, que de publier quelque chose de fini : un modèle qui correspond à la fois à des processus de design actuels, influencé par les méthodologies de développement logiciel modernes, en particulier lié à des modèles de logiciel libre. Ce qui est certainement lié, d'ailleurs, au fait que la plateforme utilisé est elle-même un logiciel libre.
Bibliographie sommaire
Cunningham, Ward : What is a Wiki: http://www.wiki.org/wiki.cgi?WhatIsWiki, 2002.
Raymond, Eric S. : The Cathedral & the Bazaar: Musings on Linux and Open Source by an Accidental Revolutionary, O'Reilly Media, Inc., Sebastopol (USA), 2001, 242 p.
Rieffel, Rémy : Révolution numérique, révolution culturelle ? Gallimard, Paris, 2014, 352p.
Siemens, George : Knowing Knowledge, University of Manitoba, Winnipeg (Canada), 2006, 163 p.
Biographie succincte
François Granade est vacataire à L'ENSA-PM, séminaire VAT, sous la direction de Jean Attali. En dehors de cette activité académique, il a développé et dirigé plusieurs entreprises d'informatique, en France et aux Etats-Unis. Ancien élève de l'Ecole Polytechnique, il est titulaire d'un DEA Urbanisme et Aménagement de l'IFU (Paris 4 / Paris 8 / ENPC ).