Chimères

“Depuis quelques mois, le Nord du Mali s’avérait trop risqué pour qu’on y séjourne en toute lenteur et toute contemplation. Cela faisait six ans que j’allais à Tombouctou sans me soucier ni des enjeux ni des frontières, qu’elles soient mentales ou politiques. Pouvoir « regarder à l’œil nu » est peut-être le plus grand des mensonges. En humble retrait par rapport aux valeurs locales, j’ai, c’est sûr, risqué d’épouser mes fantasmes rapportés, et projeté sur le sable une romance qui ne lève pas les yeux. La réalité des récents évènements a trahi notre prétention à trouver dans l’ailleurs un havre certain de paix. Le Mali est un paysage qui nous surprend car nous ne savons pas le voir. Il est à l’état critique, sur le seuil instable du sommet de la sphère, se tenant haut et calme dans son équilibre apaisant et, l’instant qui suit, dévalant la pente dans un mouvement croissant et insaisissable. Pour moi, sa tranquillité tient peut-être autant de sa témérité à perdurer en paix que de sa fragilité à faire la guerre.” Extrait du reportage Chimères, le Mali à l'Etat critique, mai 2012, Florian Julien ©