Chongqing

Retour vers Ecriture des plans et idéographie.


Chongqing 重庆 (Chóngqìng) 29° 33′ nord, 106° 30′ est

Voir dans cet atlas la contribution de Nicolas Bouisson : http://www.ouarpo.net/wiki/Chongqing.

Rappel des codes d'accès : id. : atlas / mot de passe : villes.

 La ville-montagne 山城 (shānchéng).

Le paysage est celui de la confluence entre le fleuve Yangzi et la rivière Jialing. Entre les deux, une péninsule — le district de Yuzhong 渝中区 (Yúzhōng Qū) — occupe tout le centre de l'agglomération : au milieu du site, ses contours dessinent sur la carte la forme d'une tête de canard. La topographie est escarpée, elle présente le long des berges des profils de forte pente et des nivellements audacieux où s'étagent des rangs de hauts immeubles, longés et parfois traversés par les lignes de transport. La ville s'étale vers le nord et le sud. A l'ouest, elle est flanquée d'une crête de montagne, orientée nord-sud. A l'est, elle est contenue par le Yangzi, qu'elle ne franchit que par de rares ponts. La municipalité de Chongqing est vaste (de surface équivalente à celle de l'Autriche), et l'une des plus peuplées de Chine (30 millions d'habitants). L'unité urbaine, où se concentre à peu près la moitié de la population totale, est contenue dans son site géographique, et s'inscrit pour l'essentiel dans un carré d'environ 15 x 15 km (un peu plus de deux fois et demi la surface de Paris intra muros) : ceci pour donner un ordre de grandeur. L'observation des formes urbaines doit se hisser à cette échelle-là, avant de descendre vers celle des districts, des quartiers et des mailles de l'immense trame urbaine.

Avec Chongqing, la méthode du double examen cartographique (avec son cadre élargi et son échelle graphique trop petite) et photographique (avec sa ressource d'images sans fin : ni plan unique ni axe privilégié), atteint sa limite. Ce n'est pas que la ville ne se laisse appréhender dans ses formes urbanistiques ni qu'elle n'occupe un site et un paysage définis. Mais outre le fait que la ville appartient à une municipalité qui a les dimensions d'une province, l'agglomération urbaine proprement dite recense une population de plus de 15 millions d'habitants (voir les World Urbanization Prospects publiés par l'ONU : https://population.un.org/wup/), ce qui pourrait décourager toute tentative d'appréhender l'ensemble de son territoire ou de qualifier formellement son espace. Mais cette limite même entraîne vers les problématisations propres aux échelles métropolitaines : l'échelle spécifique de la ville y est comme démantelée, la maille ordinaire de son organisation au sol filée* ou désarticulée. Les unités au sol (édifices, îlots ou blocks, quartiers, etc.) y paraissent disparates, et ne forment plus que des configurations instables ou provisoires. Le mouvement y domine partout, non seulement dans la ville mais dans le rapport de la ville à tout ce qui lui est extérieur : le mouvement y est devenu celui de la ville elle-même dans son territoire élargi, un mouvement élastique où les échelles semblent impossibles à unifier, où le rapport d'échelle lui-même (entre l'édifice et l'ensemble auquel il appartient ; entre le groupe d'édifices et le quartier ; entre celui-ci et l'ensemble de la ville, etc.) est devenu indéfiniment variable. Pas d'autre dispositif de recherche alors que celui qui consiste à échantillonner librement, au gré des repères que l'on sélectionne ici ou là : un tracé sinueux qui signale une élévation du terrain ou une topographie plus contraignante, un jeu entre plusieurs trames urbaines voisines, une densité exceptionnelle ici, un tissu relâché ailleurs, des chefs d'œuvre de composition, mais voisins parfois d'espaces vacants, délaissés ou en attente… Parler de forme urbaine ne présuppose aucune saisie unitaire, encore moins identitaire (“patrimoniale”). La forme urbaine est dans l'onde même qui traverse tout l'espace construit et semble agiter localement chaque point dans l'espace, chaque grain de la carte. La ville-montagne 山城 (shānchéng), peut-être. Mais plus encore : la ville-dune 沙丘 城市 (shāqiū chéngshì).

* Maille “filée” : je reprends ici la métaphore utilisée par Albert Pope au sujet de la maille urbaine américaine, progressivement déstructurée. Le titre de son livre Ladders (Princeton Architectural Press, 1ère éd. : 1996 ; 2e éd. révisée : 2015) joue sur le terme “échelle”. Non plus l'échelle spatiale (scale) mais l'échelle munie de montants et de barreaux (ladder) dont le mot en anglais désigne aussi une maille défaite ou “filée”, comme on le dit d'un bas.

Le quartier du Grand auditorium du Peuple, dans la partie centrale du district de Yuzhong 渝中区 (Yúzhōng Qū).

Ci-dessus, le quartier d'après une vue Google Earth™ en 2008. Ci-dessous, en 2020.

Photo 郑甘. Panoramio-13874302. Photo modifiée J.A. Google Earth™ 29°34'08.83”N 106°33'06.01”E.

Le quartier du parc de Dalongshan 大龙山公园 (Dalong shān gōngyuán), sous-district de Longxi 龙溪街道 (Lóngxī Jiēdào), district de Yubei 渝北区 (Yúběi Qū). Un parc, un temple, une zone de fret, des tours d'habitation…

Photo 岩山贺缅. Panoramio-120207627.jpg. Photo modifiée J.A. Google Earth™ 29°35’22.80 » N 106°29 »48.12 E.

Les deux images ci-dessus (au centre et à droite) semblent résulter d'un montage photographique. Il n'en est rien. Les deux “mailles” urbaines sont effectivement contiguës et témoignent de l'aptitude de la trame urbaine à accueillir des types d'implantation très différents les uns des autres, tout en rendant manifeste l'hétérogénéité des formes urbaines et leur tendance au disparate. La tension entre un ordre persistant du découpage au sol et une morphologie de plus en plus différenciée dans ses échelles et ses architectures, ne connaît de résolution que dans l'expansion générale du fait urbain, dans ses gradients de densité, dans la progression de ses espaces ouverts ou délaissés. L'exemple ci-dessus juxtapose et condense ici ce qui ailleurs sera séparé ou dilaté.

La trame urbaine, même irrégulière et mouvementée, donne à l'évolution de la ville sa scansion principale. Ses mailles juxtaposées sont autant de cellules relativement indépendantes, formant, quand on les considère côte à côte, des sortes de diptyques voire de polyptyques urbains. Dans tel quartier de la rive nord du fleuve Jialing, une colline qu'on croirait découpée au carré abrite un temple élevé au milieu d'un parc - ce dernier, probablement récent si l'on en juge par les deux vues de 2008 puis de 2020. Une maille de surface équivalente enserre plus à l'est un programme fait d'entrepôts, de garages ou d'ateliers (pour autant qu'on puisse le deviner d'après la vue zénithale) autour d'une cour centrale, tandis qu'une autre à l'ouest, plus grande et décalée, exhibe ses tours et la composition plus recherchée de son plan de masse. De sorte que chaque maille de ce réseau semble avoir donné lieu à un projet distinct, avoir permis d'exploiter au mieux l'espace imparti et le jeu que lui ouvraient la succession des blocs et la répartition des fonctions dans l'espace urbain. Le découpage au sol n'a pourtant rien de régulier, au point que l'on devine partout les inflexions, les glissements, les contournements — que ceux-ci et celles-là soient dus à la topographie, aux opérations variables du nivellement, aux conflits nés du choc des échelles : entre passage des grandes voies, et optimisation des espace lotis ; entre règlement probable et dispositions négociées. L'examen attentif de ces nombreuses formes inscrites sur le sol et les terrasses de la ville révèle une véritable pulsation urbaine, qui accorde l'expansion des constructions au régime des fleuves qui la traversent. La montagne et l'eau 山水 (shanshui)* , maîtresses des lieux et du paysage.

* Voir le livre de Yolaine Escande, Montagnes et eaux : La culture du shanshui, Paris, Hermann, 2005, et l'article d'Augustin Berque https://portailweb.universita.corsica/stockage_public/portail/baaaalpj/407753.pdf.

Les deux cadrages ci-dessus, issus des images de Google Earth™, montrent le même quartier (proche de la station de métro Dalongshan) à douze ans d'intervalle, respectivement en 2008 et 2020.

Voir situation sur la carte du métro :